Le 18 et 19 mai derniers, 92 étudiants, chercheurs et professionnels de la santé publique et communautaire se sont réunis à l’UQAM pour échanger sur les enjeux méthodologiques et éthiques qu’implique le développement d’une recherche en ligne dans le domaine de la santé. Cette participation importante et très active tout au long des deux journées, témoigne de l’intérêt croissant des chercheurs pour ces méthodes. Celles-ci sont en effet de plus en plus utilisées non seulement pour étudier les usages d’Internet mais aussi pour rejoindre autrement la population et l’amener à participer à des enquêtes.
Organisée par l’Axe Internet et santé du Réseau de recherche en santé des populations du Québec et le Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté), ces deux journées visaient à présenter les caractéristiques et les spécificités de la recherche en ligne, qu’elle soit de nature quantitative (1ère journée) ou qualitative (2ème journée). Les communications et exercices proposés avaient aussi pour objectif de permettre aux participants de mieux s’approprier ces stratégies de recherche (et les outils mobilisés) et d’en cerner les avantages et les limites.
Ces communications (voir le programme) et les présentations Powerpoint utilisées par les conférenciers seront diffusées sur le présent portail, en format vidéo, au cours des mois à venir.
Quelques constats à tirer de la première journée sur les méthodes quantitatives
Toutes les communications de la première journée mettaient en évidence les limites des méthodes d’enquête traditionnelles pour rejoindre les populations, entre autres, parce que nombre d’individus n’ont plus de ligne de téléphone fixe. Comme l’expliquaient Louis Robert-Frigault ou Claire Bourget, le recours aux méthodes de recherche en ligne dans le cadre d’enquêtes populationnelles s’inscrit dans une volonté de multiplier les stratégies de recueil de données.
Les enquêtes en ligne permettent aussi de recruter des populations difficiles à rejoindre parce qu’elles sont géographiquement distribuées (d’où leur utilité pour des études multicentriques), malades, ou encore, stigmatisées. Alain Léobon présentait l’exemple des sites de rencontre en ligne qui offrent des moyens plus efficaces pour rejoindre les jeunes HARSAH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) qui fréquentent moins les espaces traditionnels de rencontre.
Les enquêtes en ligne offrent aussi un potentiel intéressant pour les études longitudinales, ce qui s’avère très intéressant pour la surveillance épidémiologique, cet avantage ayant d’ailleurs été exploité dans le cadre du projet de Grippe Montréal que présentait Louis-Robert Frigault. Enfin, leur mise en place est généralement beaucoup plus rapide et moins coûteuse, ce qui permet de sonder rapidement la population. Cette dernière caractéristique s’avère un avantage très important pour un recueil de données en période d’épidémie ou à la suite d’une crise, d’un événement traumatique comme un tremblement de terre, cet exemple ayant fait l’objet du cas d’étude qu’ont proposé Andrea Ashbaugh et Christophe Herbert aux participants. Les enquêtes en ligne ne permettent toutefois pas de rejoindre tout le monde, puisque tous ne sont pas encore connectés. Aussi est-il important de les envisager comme des stratégies complémentaires aux modes de recueil traditionnels.
Andrea Ashbaugh soulignait aussi que le recrutement dans les stratégies de recherche en ligne suppose une bonne connaissance du fonctionnement des médias sociaux et notamment, des services publicitaires disponibles sur Facebook et Google. De même, le recueil des données que peuvent faciliter les outils de création de formulaires, tels que Lime Survey (qui a particulièrement retenu l’attention lors de cette journée), tout comme leur stockage sur des serveurs qu’il est toujours préférable d’installer au sein des institutions, nécessitent des ressources formées à l’usage de ces outils.
Et la recherche qualitative ?
Comme l’ont illustré plusieurs des conférences, les stratégies de recherche qualitative sont largement utilisées pour cerner les usages de l’Internet et mieux comprendre la nature et les modalités d’interaction sur les plateformes de chat, les forums, les babillards, ou encore, sur Facebook.
Quelques constats là encore. Tout d’abord, l’observation semble constituer une étape importante de l’analyse des espaces d’échange parce qu’elle permet de saisir le contexte et la culture des communautés analysées. Ainsi, l’observation n’est-elle plus réservée aux recherches à caractère ethnographique, qui se traduisent toutefois par une immersion du chercheur beaucoup plus conséquente.
Madeleine Pastinelli soulignait d’ailleurs que les terrains en ligne qui font l’objet d’une ethnographie virtuelle nécessitent que le chercheur « se mouille » beaucoup plus que dans les terrains traditionnels. Il en va de même des entrevues en ligne, dans lesquelles le chercheur est amené à se dévoiler davantage pour pouvoir tisser une relation de confiance, comme l’expliquait Christine Thoër. Dans tous les cas, la durée des terrains est aussi souvent plus longue.
Plusieurs présentations, et tout particulièrement celle de Manon Niquette, ont aussi montré que les espaces d’échange en ligne, et notamment la plateforme Facebook, sont largement investis par l’industrie pharmaceutique qui a intégré les médias sociaux dans ses stratégies de marketing. Leur présence qui reste discrète se traduit par des modes de communication particuliers que mettait en évidence l’analyse linguistique que fait Manon Niquette des contenus de pages Facebook.
Florence Millerand et Marie-Claude Drouin ont pour leur part présenté l’analyse de deux types d’espaces : les forums où les jeunes échangent sur des médicaments utilisés à des fins non médicales pour l’une, et les babillards dans divers sites de rencontre HARSAH, pour l’autre. Leurs présentations montraient différentes stratégies d’analyse, allant de l’analyse qualitative inspirée des procédures de la théorisation ancrée à l’analyse de contenu quantitative.
Enfin, la question de l’éthique de la recherche en ligne traversait toutes les présentations. Joseph Levy, président du Comité institutionnel d’éthique de l’UQAM, est d’ailleurs intervenu sur ces questions tout au long des deux journées. Deux enjeux ont particulièrement retenu l’attention, celui de l’appréciation des risques encourus par les participants à la recherche, qu’il est par ailleurs difficile d’identifier et de contacter, et la question de l’anonymat souvent impossible à garantir. La présentation du contexte des terrains de recherche et des extraits recueillis dans les espaces d’échange dans les publications scientifiques, de même que la circulation des données sur Internet au moment de leur collecte constituent, en effet, des moments particulièrement sensibles, comme l’ont souligné tous les chercheurs. L’élaboration de la demande d’approbation éthique dont Joseph Levy a présenté un exemple, doit donc être mise à profit pour réfléchir aux enjeux éthiques de la recherche que l’on souhaite développer en ligne.
Pour finir, c’était là deux journées particulièrement stimulantes et inspirantes comme le soulignait une étudiante au sortir de l’école. Elles offraient aussi l’occasion, assez rare, d’ échanger sur “les dessous” du développement méthodologique des recherches en ligne.
C’est une expérience qu’il faudra renouveler. Les évaluations des participants sont en effet très enthousiastes (86% ont trouvé le contenu très bon ou bon). Plusieurs soulignaient toutefois que d’autres journées seraient nécessaires, avec plus d’exercices pratiques, pour véritablement s’approprier les méthodes de recherche en ligne.
D’ici là, visitez notre portail pour retrouver le détail des communications présentées et n’hésitez pas à réagir à ce billet et au prochain pour nous faire part de votre expérience ou de vos questionnements sur les pratiques de recherche en ligne dans le domaine de la santé.
Au plaisir de vous retrouver à l’une ou l’autre de nos activités.
Et merci à toute l’équipe de ComSanté, Centre de recherche sur la communication et la santé qui a travaillé très fort pour organiser ces journées !
Le comité exécutif de l’Axe Internet et santé du Réseau de recherche en santé des populations du Québec : Synda Ben Affana, Louis-Robert Frigault, Christophe Herbert, Joseph Levy et Christine Thoër.