Organisé par l’Université Claude Bernard Lyon 1, l’axe Internet et santé du RRSPQ et le Centre d’Études et de recherches anthropologiques de l’Université Lumière Lyon 2, ce colloque, qui se tenait à la médiathèque de l’Université Lyon 1, le 21 février 2011, avait pour objectif de saisir les spécificités et les enjeux de la recherche sur Internet et santé dans une perspective comparative France/Québec.
État de la recherche
Les deux premières communications faisaient état du développement de la recherche sur les TIC et la santé en France (Évelyne Lasserre) et au Canada (Joseph Levy). Constats : certaines études se retrouvent dans les deux pays notamment, les enquêtes d’usages menées auprès de la population générale ou de populations particulières et les analyses des espaces d’échanges entre usagers que sont les listes de discussion, les forums (en particulier ceux traitant des médicaments) et les blogues (moins étudiés toutefois). Des recherches ont documenté et évalué les interventions en ligne de promotion de la santé et de support de personnes souffrant de problèmes de santé chroniques notamment, au Canada où ce type d’intervention est plus développé. Certaines études canadiennes se sont également penchées sur la structuration du cyberespace autour de thématiques particulières telles la santé des populations gaie, lesbienne, bisexuelle ou transsexuelle (GLBT) ou la vaccination et par des acteurs spécifiques comme les pharmacies en ligne.
Plusieurs objets et thématiques restent par contre peu ou pas documentés. Dans les espaces d’échange, les formes de narrativité de la maladie ou de présentation de soi sont peu explorées. L’ethnographie virtuelle (voir par exemple, les travaux de C. Hine ) est d’ailleurs peu mobilisée dans les recherches sur l’Internet et la santé, et ce, dans les deux pays. Les sites de réseautage social (Facebook) ont également été peu analysés pour ce qui est de leurs contenus relatifs à la santé alors qu’ils sont largement utilisés par la population. Les contenus diffusés sur Twitter sont également peu étudiés sauf en temps de crise de santé publique ou à des fins de surveillance épidémiologique. Enfin, du côté des soignants, les usages d’Internet restent très peu documentés. Beaucoup de domaines sont donc encore à creuser!
Quelques résultats de recherche
Joëlle Kivits a présenté le projet de recherche qu’elle mène sur les sites institutionnels français pour cerner leurs usages par le grand public. Sa communication souligne la difficulté pour les acteurs institutionnels de se positionner sur Internet, entre autres, parce que l’offre d’information santé y est déjà très importante, qu’ils ciblent différents publics (grand public, professionnels, journalistes), et qu’ils n’ont pas toujours la culture ni l’expertise Web (la gestion des sites Internet étant souvent une tâche parmi d’autres). Joëlle Kivits expliquait aussi que le rapport du public aux sites institutionnels est souvent ambigu, oscillant entre méfiance et confiance, les acteurs institutionnels restant toutefois des référents, notamment lors de crises de santé publique. Un projet à suivre sur un sujet encore très peu documenté.
Philippe Vanhems a présenté différents usages d’Internet en santé publique, pour favoriser l’accès des professionnels aux connaissances scientifiques, pour la formation biomédicale, pour la surveillance épidémiologique, l’outil permettant la mise en place de dispositifs d’alerte et de ripostes plus efficaces, et pour l’intervention en matière de promotion de la santé.
Deux communications portaient sur les forums où les patients échangent sur leurs problématiques de santé. Elles soulignent l’importance de tenir compte des contextes de production de ces contenus. Élizabeth Vercher et Annelise Touboul, qui comparaient deux forums français visant le grand public (Doctissimo et Atoute), montrent que les logiques de production des contenus y sont très différentes, tout comme les règles de gestion et les modalités d’expression des usagers. Christine Thoër a présenté une étude réalisée avec Florence Millerand, Oliver Gignac et Valérie Orange sur différents forums sur les médicaments détournés. L’analyse met en évidence la coexistence dans les forums de différentes catégories de savoirs, la place occupée par les savoirs scientifiques étant plus ou moins importante. Les échanges favorisent la production de nouveaux savoirs sur les médicaments et leur utilisation ainsi que la diffusion et l’encadrement des pratiques.
Enfin, la communication de Nicolas Lechopier examinait les enjeux éthiques que pose la circulation des données personnelles de santé sur Internet. Celles-ci sont (et seront) de plus en plus présentes (dossier patient informatisé, divulgation de différentes informations par les patients eux-mêmes, etc.). Les problèmes viennent du fait qu’elles peuvent être récupérées et exploitées par différents acteurs (chercheurs, laboratoires pharmaceutiques, assureurs, employeurs) à des fins très différentes de celles pour lesquelles elles ont été publiées. Un des autres enjeux soulevés est celui de la non-représentativité des données récoltées en ligne, les internautes s’intéressant à la santé étant plus scolarisés que la moyenne. Cela pourrait être problématique si de plus en plus de recherches se font à partir d’Internet.
En bref, un colloque qui souligne l’intérêt de multiplier les moments de rencontre entre chercheurs de différents pays et de disciplines variées. Il serait en effet intéressant de développer des projets de recherche sur Internet et santé dans une approche comparative et multidisciplinaire.