Intervenir en santé des populations via Internet et la téléphonie mobile : des modes d’action particulièrement prometteurs mais qui soulèvent certains enjeux

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Intervenir en santé des populations via Internet et la téléphonie mobile : des modes d’action particulièrement prometteurs mais qui soulèvent certains enjeux

La popularité d’Internet et de la téléphonie mobile amène de plus en plus d’organismes et d’institutions du secteur de la santé à envisager le développement d’interventions en ligne et d’applications pour téléphones cellulaires, au Québec comme à l’international. De plus, Internet, et notamment les médias sociaux, sont largement utilisés par les individus dans différents pays pour rechercher de l’information sur la santé (McDaid et Park, 2010). Cerner les enjeux associés au développement et à l’évaluation des interventions en promotion et prévention de la santé était l’objectif du colloque organisé par l’Axe Internet et santé en collaboration avec l’Axe santé mondiale du Réseau de recherche en santé des populations du Québec et ComSanté le 9 mai 2012 à Montréal, dans le cadre du congrès de l’ACFAS.

Ce colloque a permis de dresser plusieurs constats, d’abord généraux puis spécifiques, à l’intervention concernant certaines problématiques ou populations.

Sur un plan plus général, Lise Renaud, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM et directrice de ComSanté, soulignait sur la base des interventions de promotion de la santé documentées dans la littérature, que les répercussions sur l’état de santé des populations sont variables. Elle a dégagé certains attributs des opérations qui peuvent provoquer des changements significatifs dans les comportements de groupes cibles (plusieurs n’étant pas propres aux interventions en ligne) :

  • clairement identifier les objectifs de l’intervention et les bénéfices attendus, ce qui permettra de voir par la suite s’ils ont été atteints,
  • s’appuyer sur un cadre théorique utile pour identifier les dimensions sur lesquelles intervenir (peu d’acteurs mentionant s’être appuyés sur un cadre théorique pour développer l’intervention enligne),
  • bien identifier les caractéristiques du ou des groupes cibles et adapter les composantes de l’intervention pour chacun des groupes,
  • privilégier des interventions complexes, c’est-à-dire intégrant plusieurs composantes (si le site de l’intervention offre différentes activités, le public sera plus susceptible d’y revenir et de se sentir interpelé au moins par l’une d’entre elles),
  • mettre l’accent sur les bénéfices de l’adoption du comportement et identifier les normes attendues,
  • offrir des mécanismes de rétroaction lorsque l’on amène les individus à répondre à des questionnaires en ligne, à participer à des jeux,
  • offrir un suivi personnalisé, idéalement dans les 24 heures et par un intervenant ou professionnel de la santé. Ce suivi peut aussi être réalisé par voie de courriels automatisés qui s’avèrent efficaces s’ils sont personnalisés (par exemple, des courriels ciblés en fonction du positionnement des personnes dans leur cheminement d’arrêt tabagique qui favorisent le maintien du changement de comportement),
  • favoriser les interactions entre pairs et avec les intervenants. Toutefois, attention, si les forums, babillards ou blogues sont très intéressants pour générer l’intention d’adopter un comportement et favoriser le passage à l’action, ils impliquent des coûts très importants pour les organismes et institutions en termes de ressources humaines. Si les ressources font défaut, il est préférable de s’en passer.
  • travailler et tester (!!) la conception du site pour qu’il soit accessible, attrayant et évolutif,
  • impliquer les intervenants dans le développement de l’intervention et du site,
  • renvoyer les visiteurs vers des ressources dans la communauté, la combinaison d’action étant probablement plus efficace (toutefois, peu d’interventions impliquant des composantes en ligne et hors ligne ont été évaluées).

Les communications du reste de la journée ont mis l’accent sur les problématiques de l’intervention dans différents domaines : la gestion du poids et de l’image corporelle, la santé mentale, la gestion des maladies chroniques, la santé sexuelle, ainsi que sur l’intervention auprès de certaines populations : les jeunes, les minorités sexuelles, les populations dans les pays du Sud.

J’ai retenu plusieurs enjeux qui se dégagent des différentes présentations :

  • L’implication des intervenants : Si la présence des intervenants sur les médias sociaux ou leur implication dans les interventions en ligne est jugée primordiale, ce type de travail est rarement reconnu par les organisations et ces réseaux ne sont pas toujours accessibles aux professionnels depuis le lieu de travail. Josée Gagnon, nutritionniste responsable de la recherche chez ÉquiLibre présentait une communauté de pratique mise en place pour aider les intervenants dans les CSLC offrant le programme «Choisir de maigrir». Elle souligne que la grande majorité des participants se contentent de lire les informations publiées. Assez commune sur les médias sociaux (hormis sur les sites de réseautage social), cette faible participation s’explique selon Josée Gagnon par le manque de temps des intervenants et par le fait que l’engagement sur la communauté n’est pas reconnu au sein de l’institution.
  • La problématique du financement : Développer une intervention est un défi, mais il est possible de trouver des budgets, notamment auprès des organismes subventionnaires en recherche. Obtenir du financement pour maintenir l’intervention est cependant une autre histoire. Christophe Herbert, psychologue clinicien et coordonnateur de recherche à l’Institut universitaire de santé mentale Douglas a ainsi souligné l’importance des ressources nécessaires au développement d’Info-trauma, un site d’information sur le stress post-traumatique, qui cible les individus touchés par cette problématique, leurs proches et les intervenants.  Par ailleurs, sur Internet, la portée est globale et les organismes ou institutions locales ont du mal à répondre aux besoins des populations dispersées qu’Internet permet de rejoindre. De plus, elles ne souhaitent pas toujours financer des actions ciblant des usagers localisés hors de leur rayon d’action. Brian Mishara, professeur au département de psychologie de l’UQAM et directeur du CRISE, Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie a notamment mis en évidence cette problématique concernant la prévention du suicide en ligne. Qui doit la financer ? Comment impliquer les organismes locaux qui souhaitent répondre aux besoins d’une clientèle locale ?
  • S’assurer une visibilité dans un espace où gravitent de multiples acteurs et où circulent toutes sortes de messages, favorables ou non à la santé : Cette problématique se pose particulièrement concernant la question du suicide. Brian Mishara expliquait ainsi que l’on trouve sur Internet autant de ressources pour la prévention du suicide que des conseils pour inciter les personnes à se suicider, que ce soit des conseils sur les méthodes pour le faire ou tout simplement des informations en différents formats sur des morts par suicide, dont le potentiel de contagion est probable. Sur les espaces d’échange, notamment les forums, certains «prédateurs» vont également inciter des personnes au suicide. Comment intervenir dans un environnement aussi complexe ? Comment tenir compte de ces contre-discours et de la qualité très variable des informations disponibles ?
  • Suivre les développements technologiques : Les dispositifs techniques ne cessent d’évoluer et il est parfois difficile pour les organisations et les institutions de suivre ces développements. Il pourrait être intéressant de mutualiser les ressources de veille technologique dans ce domaine. Mais qui peut (doit?) s’en charger ?
  • Mieux définir le cadre éthique de l’intervention en ligne : L’intervention en ligne pose de multiples enjeux éthiques qu’a mis en évidence Joseph Levy, professeur au département de sexologie et membre de l’équipe SVR : Comment garantir une certaine qualité de l’information ? Comment s’assurer de l’identité de l’internaute qui contacte un organisme ? Comment intervenir auprès de l’internaute situé dans un autre pays où les ressources sont différentes, tout comme la culture d’intervention ? Sur quelle base refuser d’intervenir ou d’informer certains publics ? Comment garantir la confidentialité des données personnelles qui circulent ? etc.  Il est donc impératif de réfléchir collectivement à ces enjeux et d’établir des balises, la réflexion ayant  porté jusqu’à présent essentiellement sur la recherche en ligne.

Les conférenciers ont aussi souligné plusieurs des atouts du Web pour l’intervention. Intervenir en ligne permet notamment de :

  • Rejoindre un public présent sur Internet : Jean Dumas, stagiaire postdoctoral au Programme de formation 4P, au CSSS Jeanne-Mance, soulignait que les minorités sexuelles confrontées à des résistances et à des obstacles dans l’accès aux soins et aux traitements se tournent très largement vers Internet et privilégient les ressources en ligne qui les ciblent spécifiquement. Internet est aussi utilisé, notamment par les HARSAH, à des fins de recherche de partenaires sexuels. Internet constitue donc une très bonne façon de rejoindre ces populations dont . Christophe Herbert a lui aussi montré combien Internet est mobilisé par les individus qui recherchent de l’information sur le stress post-traumatique et la santé mentale en générale. Aussi développer un site d’information sur la question, bien qu’une opération coûteuse en termes de budget et de ressources humaines, s’avère une stratégie intéressante.
  • Toucher d’autres publics : Comme le soulignaient Céline Muloin, présidente et directrice générale de Tel-jeunes et Élizabeth Brosseau, superviseur du centre d’intervention du même organisme, intervenir sur Internet leur a permis d’atteindre d’autres jeunes qu’ils ne rejoignaient pas par le téléphone. Par ailleurs, sur Internet, les jeunes abordent plus facilement certaines problématiques comme la sexualité.
  • Favoriser l’accès aux ressources : Internet s’avère particulièrement efficace pour diriger les individus confrontés à des problématiques de santé (notamment mentale ou sexuelle), vers les ressources adéquates, voire effectuer une première intervention.  Le potentiel de l’intervention en ligne, qui peut être disponible 24h/24h, comme c’est le cas de Tel-jeunes et de la cyberthérapie, est donc à développer. Dans le cas des pays du Sud, notamment en Afrique, mettre en place des initiatives qui s’appuient sur la téléphonie mobile semble une option intéressante pour promouvoir des comportements, comme le dépistage du VIH ou favoriser l’adhésion au traitement chez des personnes vivant avec le VIH. Ces stratégies permettent, comme l’ont souligné Ousmane Ndiaye, postdoctorant à l’UQAM, et Lawrence Mbuagbaw, chercheur au Centre pour le Développement des bonnes pratiques en santé à Youndé (Cameroun), de rejoindre des personnes vivant hors des centres urbains, dans les régions éloignées. Ce type d’action de promotion et de prévention semble aussi plus acceptable pour les utilisateurs, le VIH/Sida et les ITSS constituant des problématiques sensibles et souvent tabous.
  • Exploiter le jeu et la création littéraire : Internet ouvre la voie à l’utilisation de modes d’intervention encore peu exploités. Louise Sauvé, professeure à la TELUQ et directrice du Centre d’expertise et de recherche sur l’apprentissage à vie (SAVIE), et Lise Renaud ont souligné le potentiel des jeux en ligne qui favorisent la diffusion des connaissances, le changement des attitudes et l’adoption de nouveaux comportements, particulièrement lorsque les joueurs s’engagent dans des jeux de rôle. Michèle Salesse doctorante à l’UQAM, rattachée au Centre de recherche du CHU Ste-Justine, s’intéresse à l’utilisation de l’écriture littéraire (dont l’objectif est de raconter une histoire) comme stratégie de coping pour les adolescents atteints de maladies chroniques. Elle la compare à l’écriture expressive (parler de soi et de ce que l’on vit) et met en évidence des effets plus important sur la santé physique et mentale avec l’écriture littéraire. Un travail passionnant et une voie à continuer d’explorer.
  • Aider les usagers à profiter des nombreuses applications pour téléphone intelligents : Comme l’ont souligné Karine Charbonneau et Mélissa Lalande, étudiantes à la maîtrise professionnelle en ergothérapie de l’Université de Montréal, de multiples applications sont disponibles pour utilisation sur les téléphones intelligents. Ces applications peuvent être utiles aux individus en situation de handicap. Aider les usagers à s’y retrouver et offrir un portail permettant une évaluation par les usagers eux-mêmes et les intervenants qui les utilisent est le pari du projet Réadapps. Une idée brillante à décliner dans d’autres domaines !

Pour conclure, ce fut une journée riche en expériences passionnantes. N’hésitez pas à ajouter vos commentaires sur cette journée si vous y avez assisté, et même si vous n’y étiez pas, mais que ces questions vous interpellent !

Pour information,  nous diffuserons les vidéos des présentations de ce colloque sur notre portail dans les mois à venir.