Quelques enjeux associés au développement des portails d’information santé au Québec

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Quelques enjeux associés au développement des portails d’information santé au Québec

Le premier séminaire de l’Axe Internet et santé du Réseau de recherche en santé des populations du Québec pour l’année académique 2011-2012 était l’occasion d’accueillir le Dr Nicolas qui a présenté le nouveau portail www.elodoc.com. L’objectif de ce billet n’est pas de rapporter le contenu de cette conférence dont la vidéo sera bientôt disponible sur notre site, mais plutôt d’examiner certains des enjeux que soulève le développement d’un portail d’information santé.

Dans sa conférence, qui a eu lieu le 14 octobre dernier et était organisée en collaboration avec le centre Comsanté, le Dr Nicolas soulignait qu’elodoc.com se veut un site grand public offrant aux Québécois de l’information de qualité sur les problématiques de santé les plus courantes. Le portail donne aussi au public l’occasion d’interagir avec des pairs et des soignants (via des forums et des séances de clavardage) pour obtenir de l’information sur des problématiques qui les touchent, sans qu’il s’agisse toutefois de consultations en ligne (voir le billet sur ce portail).

Les discussions suscitées par la conférence du Dr. Nicolas étaient particulièrement intéressantes et renvoyaient à différents enjeux. J’en reprends ici quelques-uns qui me semblent particulièrement importants :

Comment favoriser la présence des soignants en ligne ?

Tous les acteurs s’accordent pour dire que la présence des soignants sur Internet, et notamment sur les médias sociaux. est nécessaire 1) parce que les individus sont de plus en plus nombreux à rechercher en ligne de l’information sur la santé, 2) que le discours des soignants est particulièrement crédible et rassurant pour le public et 3) que leur présence pourrait aider à améliorer la qualité de l’information. Les modalités pour favoriser cette présence des soignants restent par contre encore assez mal identifiées. Certaines institutions vont travailler à créer les conditions (encadrement, assistance, formation) favorisant l’implication des soignants sur Internet et dans les médias sociaux (c’est le cas notamment à l’Institut universitaire de santé mentale Douglas). Dans le cas d’elodoc, le système proposé est original : les médecins participants bénéficient de crédits de formation de la part du Collège québécois des médecins de famille. Un système d’incitatifs très intéressant, mais qui ne concerne que les médecins alors que les soignants actifs sur le portail elodoc proviennent de différentes disciplines.

Comment assurer la qualité de l’information diffusée ?

La qualité de l’information santé disponible en ligne semble inégale selon les sites[1], notamment parce que la popularité d’Internet est à l’origine du développement de nombreux services marchands (consultation en ligne, vente de produits pharmaceutiques, tests génétiques, etc.) dont les activités restent encore mal cernées et peu encadrées. La qualité de l’information circulant sur les médias sociaux semble aussi variable selon les plateformes et les problématiques de santé concernées.

Sur le portail Elodoc,  la qualité de l’information diffusée dans les forums est validée par les soignants participants. Il serait intéressant de cerner la perception de ce processus de validation. Est-il jugé suffisant par les patients, les soignants (ceux-ci seraient-ils à l’aise de référer leurs patients vers le site ?) et les ordres professionnels ? Selon les portails d’information santé, ces procédures de validation de l’information sont plus ou moins transparentes, notamment en ce qui concerne les forums. Par exemple, sur le portail Doctissimo, la section éditoriale fait l’objet d’une supervision par des médecins, mais dans les forums, seules la forme des interactions sont  modérées. Il s’opère toutefois une régulation entre pairs, qui est favorisée par le trafic élevé sur le site, une information erronée étant ainsi assez rapidement corrigée. Passeport santé a opté pour une autre voie et précise le niveau de preuve des résultats d’études présentés toutefois cela ne concerne évidemment que la portion éditoriale du site.

Quelle est l’accessibilité des portails d’information santé ?

Les réflexions entourant le développement de l’Internet santé ont assez peu porté sur son accessibilité.  Il s’agit pourtant d’une question importante si l’on veut éviter que l’Internet ne contribue à creuser les inégalités à l’égard de la santé. L’accès à l’information santé en ligne n’est en effet pas généralisé et varie en fonction de l’âge, du genre et de la scolarité (Underhill et McKeown, 2008). Un faible niveau de littératie en santé en ligne qui se traduit par une plus grande difficulté à trouver de l’information sur la santé et à se l’approprier pour en tirer des bénéfices, constitue aussi une barrière importante. Comment penser les portails d’information sur la santé pour qu’ils soient accessibles à un plus large public sachant que les besoins d’information et les modalités d’appropriation de celle-ci varient grandement d’un individu à l’autre. Une des voies adoptées par plusieurs portails est de proposer différents formats d’information dont beaucoup de vidéos, souvent plus accessibles, d’offrir des jeux et des quiz pour faciliter l’appropriation des connaissances, de permettre le choix de la police afin de favoriser la lisibilité par plusieurs publics. Certains travaillent aussi à personnaliser le parcours de l’internaute en fonction de ses besoins et de son niveau de littératie numérique. L’intégration des fonctionnalités interactives du Web 2.0 est aussi une formule intéressante (comme les forums entre pairs, par exemple), puisqu’il apparaît que l’information présentée dans ces espaces est plus largement ancrée dans l’expérience et donc plus accessible aux individus.

Quelle est la place du patient dans l’élaboration des portails d’information santé ?

Un des moyens de favoriser la lisibilité de l’information est aussi sans doute d’impliquer la population cible dans le développement des portails d’information santé, au moins pour cerner les besoins des usagers et tester les modalités de navigation et le contenu des sites. Voir, à ce titre, la conférence  de G. Doray et S. Girard (JASP, 2010) sur le développement de sites Internet. L’implication des usagers et des associations d’usagers dans les équipes éditoriales des sites est une autre avenue intéressante.

Quels sont les modèles d’affaires possibles ?

La question du financement est centrale. Créer un site, l’entretenir, le faire connaître nécessite ressources et expertises. Les portails d’information santé  sont de différents types. On trouve des sites gouvernementaux comme le Guide santé du Québec, des sites institutionnels ou d’associations présentant de l’information sur certaines problématiques de santé et leur traitement, d’autres sont le fait d’éditeurs privés, comme Canoë santé ou le site Doctissimo, deux sites largement financés par la publicité, d’autres encore sont financés par des fondations, comme le site Naître et grandir (Fondation Chagnon).

Plusieurs portails d’information sur la santé souffrent de problèmes de financement et peinent à se maintenir, entre autres, parce que les ressources allouées ciblent souvent la mise sur pied des projets et moins leur entretien et leur évolution. C’est notamment le cas des projets développés grâce à des fonds de recherche. Lors de la conférence, le Dr Nicolas exprimait son intérêt à tisser des partenariats avec des acteurs privés comme l’industrie pharmaceutique, notamment. Si ces partenariats sont sans doute nécessaires, ils soulèvent certains enjeux éthiques et doivent être bien encadrés.

Comment évaluer les portails d’information santé ?

Évaluer les portails d’information santé est nécessaire à plusieurs égards, par exemple, pour mieux cerner les caractéristiques de la cible rejointe, valider les formats les plus populaires et les plus accessibles, et l’impact de la recherche d’information en ligne sur les connaissances, les attitudes et les intentions de comportements. Mesurer la fréquentation des sites ne saurait ainsi être suffisant même si ces statistiques sont utiles. Des enquêtes en ligne sont nécessaires.  Il serait également important d’aller au-delà des enquêtes sur les usages des portails afin de comprendre comment les individus qui visitent ces sites s’approprient l’information recueillie et la mobilisent dans leur quotidien et dans leur relations avec les soignants.

Comment articuler ces initiatives avec la pratique médicale ?

Un dernier enjeu qui me semble important concerne l’intégration des portails d’information santé dans la pratique des soignants. Ces portails pourraient en effet devenir des ressources privilégiées vers lesquelles les soignants pourraient renvoyer leurs patients. La «prescription d’information sur Internet» peut prendre plusieurs formes que nous aurons l’occasion d’explorer lors du prochain séminaire qui aura lieu le 2 décembre prochain, à 12h30 et au cours duquel nous accueillerons le Dr Robert Perreault  (voir notre site pour les précisions sur cette conférence). Au plaisir de vous y retrouver en grand nombre !

 

Référence:

[1] Eysenbach, G., Powell, J., Kuss, O., & Sa, E.-R. (2002). Empirical Studies Assessing the Quality of Health Information for Consumers on the World Wide Web. JAMA: The Journal of the American Medical Association, 287(20), 2691-2700.